Quand Augustine devient muette, rien ne va plus!
Si l’Alaska highway au Yukon est jolie et agrémentée de vie animale, la partie du côté américain est un réel calvaire. Et si vous pensez avoir un répit sur la Richardson highway, détrompez-vous, elle est aussi pire ! La route est si ondulée que c’est quasi un exploit de l’avoir si mal nivelée! Les bosses se succèdent si rapidement et sont si prononcées qu’on finit par rouler à moins de 40km/h pour éviter que la roulotte ne décroche de la voiture et que tout ce qu’elle contient soit projeté au sol. En fait, nous l’avons appris à nos dépends; les macaronis et les sachets de toasts Melba éclatés se dispersant très bien dans chaque petit recoin d’une roulotte ! Notre frigo a aussi vécu difficilement cette portion de route. Le mécanisme qui garde la porte bien enclenchée ne fonctionne plus, les ressorts s’étant déplacés avec les nombreuses secousses. C’est maintenant du « Duck tape » qui tient le frigo bien fermé pour éviter que les avocats ne se transforment en guacamole sur le plancher de la roulotte alors qu’on roule !
Outre les dénivelés de l’asphalte, l’autre défi à relever sur cette route est la gestion de l’essence. En fait, nous sommes en apprentissage de la chose depuis notre départ de Montréal. Comme nous n’avions jamais tiré la roulotte avec la voiture avant le voyage, nous n’avions aucune espèce d’idée de la consommation d’essence du véhicule avec cette charge. Nous avons donc développé le truc de demander à Augustine de nous indiquer la prochaine station service sur notre itinéraire. Augustine est le prénom que la filleule adorée a donné à la voix de notre GPS, comme elle nous évoquait unanimement l’image d’une vieille maîtresse d’école un peu sévère qui « perle » un tantinet. Augustine a du caractère, elle n’aime pas quand nous changeons notre itinéraire pour un café sans l’aviser. Elle nous rappelle à l’ordre à répétions, sur un ton impératif voire autoritaire, quoique toujours poli. Malgré son tempérament rigide, nous l’apprécions tout de même comme compagne de voyage, puisqu’elle nous mène toujours à bon port.
Donc, en plus de repérer les stations service à l’avance, nous avons aussi acheté un bidon d’essence de 10 litres supplémentaires, au cas où. Mais même avec ces précautions, ça ne fonctionne pas toujours comme prévu… Ainsi, sur la route vers Valdez en Alaska, Augustine nous indique une station d’essence sur notre chemin à environ 160 km droit devant. Toutefois, à destination il n’y a pas de station service, mais bien un restaurant russe. Et oui, au milieu des bois, il y a cette affiche en bordure de route qui indique « Russian food» à l’endroit exact où nous espérions trouver de l’essence. Nous demandons donc à Augustine où sont les prochaines pompes. Augustine est soudainement silencieuse et son écran est noir. Elle qui est habituellement très loquace, elle n’offre même plus le choix de chercher des stations services sur notre itinéraire. Angoisse de notre part, car Augustine n’a jamais été muette auparavant. Nous arrêtons la voiture et nous la redémarrons dans l’espoir de la faire parler, mais toujours rien. Par réflexe, je prends mon cellulaire pour consulter Google Maps, mais il n’y a pas de réseau. Le tableau de bord de la voiture indique que nous serons en panne sèche d’ici 20 km. Serge sort donc de la voiture pour verser le bidon d’essence d’extra dans le réservoir, ce qui nous donne environ 50 km supplémentaires d’autonomie. Or, Valdez est toujours à 100 km. Si vous faites le même calcul que nous avons fait, nous serons tout de même en panne sèche avant notre arrivée à destination…
Nous cherchons donc comment alléger la roulotte pour limiter notre consommation d’essence, tout en évitant de devoir l’abonner en bordure de route. Serge vide d’abord le réservoir d’eau potable que nous gardons habituellement rempli au tier pour nous permettre d’utiliser notre toilette en chemin lorsque nécessaire. Nous vidons aussi les restants de café et de jus qui traînent dans la voiture; chaque goutte compte! Nous redémarrons la voiture avec nos 70 km possible en banque, en espérant qu’une station service sera miraculeusement sur notre chemin.
Nous prenons une courbe et 500 mètres plus loin, nous apercevons une affiche qui annonce une station service dans un mille! À la vue de cette pancarte, Véro, Serge et moi éclatons de rire; nous nous sommes imaginés un scénario catastrophe pour absolument rien ! On se bidonne aux larmes d’avoir vidé le réservoir d’eau et jeté les restes de café, jusqu’à ce que l’on passe devant la station service tant attendue. Nous attrapons un air bête subit lorsque nous constatons que l’endroit est désaffecté, que tout tombe en ruine et que les postes d’essence sont partiellement recouverts d’une toile éventrée par le soleil, la pluie et le vent. Visiblement, la station service a fermé ses portes il y a quelques années. Notre euphorie n’est plus et Augustine se fait toujours muette comme une carpe. Elle ne nous indique même pas de station service à Valdez, ce qui nous rend encore plus anxieux. Sa voix hautaine commence sérieusement à me manquer, je me rends compte que je suis attachée à elle au cours du dernier mois.
Sans l’aide d’Augustine, nous passons au plan B, soit de ralentir, se mettre sur les feux d’urgence et passer au neutre dans chaque pente descendante. Serge le positif, est certain que nous arriverons à destination avec cette méthode. Véronique et moi cherchons la crème Aveeno dans la voiture pour nous calmer un peu, aucunement convaincues du succès de l’opération. Nous sommes maintenant dans le brouillard des montagnes au point de ne presque plus voir devant nous. Valdez est une ville portuaire, donc Serge le jovial est convaincu que nous ne ferons que descendre pour le reste de la route, ce qui nous permettra d’économiser de l’essence et d’arriver à destination sans problème. L’excessive craintive que je suis se dit que le port est peut-être au pied d’une falaise et que nous serons en panne sèche dans les montagnes bien avant de voir le golf de l’Alaska au loin. Mon cerveau étant constamment en création de tragédie, je suis aussi convaincue qu’un camion-citerne nous fauchera en bord de route comme il ne pourra nous voir à travers les brumes.
À chaque pente descendante, je surveille Serge pour voir s’il met la voiture sur le neutre. Cette occupation m’évite de gratter mon urticaire de plus en plus présent. Nous roulons maintenant à plus ou moins 40 km/ h et, évidemment, tous les véhicules nous dépassent. Alors que je suis sur le point d’hyperventiller, le brouillard se dissipe et laisse place aux flancs de montagnes et à de magnifiques chutes. Bien qu’Augustine s’obstine dans son mutisme, le tableau de bord lui est plus collaborant et nous indique qu’à la vitesse à laquelle nous allons, nous arriverons à Valdez qu’avec une ou deux gouttes d’essence dans le réservoir, mais nous y parviendrons. Je reprends enfin mon souffle lorsque nous apercevons la pancarte indiquant que nous entrons dans Valdez. Nous avons maintenant un signal Internet et Google Maps nous indique qu’une station service est à proximité. Serge l’optimisme est tout sourire me rappelant qu’encore une fois, j’ai envisagé le pire pour rien. Augustine s’est remise à « perler » lorsque nous avons rempli le réservoir d’essence, je n’ai pas osé lui dire qu’elle aurait pu se manifester plus tôt de peur qu’elle se taise encore une fois.