C’était un dimanche soir, il y a 15 ans. D’un ton toujours aussi passionné, Charles Tisseyre me faisait découvrir le parc national de Yellowstone à l’émission Découverte. Assise sur le divan qui provenait du sous-sol de chez mes parents, devant un écran cathodique dont ils m’avaient aussi fait don, dans mon premier appartement, épatée par toutes les merveilles que je voyais dans mon téléviseur, je me suis promise qu’un jour j’y mettrais les pieds. C’était avant que je commence à être affligée de ces fichues migraines qui paralysent littéralement mon corps et mon esprit, bien longtemps avant les douleurs quotidiennes et les compromis dus à la fatigue, mais surtout bien avant le dernier printemps qui fut si difficile pour moi. Durant toutes ces années, j’ai souvent laissé mon esprit se bercer en rêvant de Yellowstone alors que la douleur me clouait au lit. Un jour, je verrais les bisons, les loups, les geysers et les couleurs surréalistes de Yellowstone. Un jour…

  En route vers le parc, j’étais aussi excitée qu’une enfant qui attend le Père Noël. Je chantais et sautillais sur place dans la voiture. Enfin, le grand jour était arrivé; je verrais et surtout je marcherais dans Yellowstone! Je savais que ce serait un moment fort du voyage, mais je ne me doutais pas que ce le serait à ce point. Dès que nous avons passé la guérite du parc, nous avons vu cette rivière sinueuse bordée de conifères. Le soleil amorçait la portion finale de sa descente quotidienne, la lumière dorée était apaisante, si bien qu’un immense calme m’a envahie. Puis, la route nous a doucement menés vers une source thermale qui se jetait dans la rivière, créant une vapeur à la fois dense et fluide. Sans que je les sente venir à la surface, des larmes de bonheur ont roulé sur mes joues. Les yeux humides, j’ai souri à Serge qui comprenait très bien que je réalisais enfin mon rêve d’être à Yellowstone.

  Le soleil d’un orange vif, presque rouge, allait disparaître à l’horizon quand nous nous sommes arrêtés à Celestine pool. Nous nous sommes avancés sur le trottoir de bois qui surplombait ce qui semblait jadis avoir été une forêt ou peut-être un marais. Les arbres étaient tordus, desséchés par les dizaines de sources thermales qui bouillaient à quelques mètres d’eux. Le silicate présent dans l’eau, dans le sol, avait obstrué leurs veines, les laissant blanchis, meurtris, morts, faute de sève à puiser. Un paysage à la fois morbide et vivant, car l’eau boue littérature dans les cratères adjacents aux squelettes que sont devenus les arbres. Les derniers rayons de soleil se sont dissipés sur ce paysage d’une composition surréaliste. Cette fois, ma voix était étranglée par les sanglots que j’essayais de retenir, mais je les laissai aller lorsque Serge m’a pris dans ses bras. Yellowstone m’a accueillie en me rappelant que j’étais en vie, tout comme la terre qui me porte. Certains moments ont été plus difficiles à vivre pour moi dans le passé. Ils ont marqué mon corps et mon esprit, ils m’ont laissée blessée comme ces arbres blanchis. Mais ce coucher de soleil a éclairé cette partie de moi qui bouillonne, qui est pleine de vie et de rêves.

  Yellowstone m’a touchée parce qu’il est vivant, nous rappelant au passage que nous le sommes aussi. Il nous a dévoilé plus d’une merveille lors de notre court passage. Nous y avons vu une meute de loups s’attaquer à un troupeau d’une  centaine de bisons. Je les vois encore s’allier pour chasser le bétail massif et puissant. Les loups se rassemblaient sous nos yeux ébahis pour élaborer leur stratégie de chasse et retourner poursuivre leurs proies. Plus d’une fois, nous avons eu le privilège de les entendre hurler en meute. Un son tout aussi fascinant qu’effrayant, mais tellement vivant.

  Nous avons aussi eu la chance d’être entourés par un troupeau de bisons qui a repris ses droits sur la route sur laquelle nous nous étions arrêter pour les observer. En rut, ils grognaient d’une respiration sourde et profonde, leur souffle laissant au passage un léger nuage de vapeur dans l’air froid du matin. Nous avons vu les mâles se défier, se battre entre eux pour ensuite marcher fièrement auprès de la femelle convoitée. Ils sont immenses, bruts, forts et, oui, vivants.

  Les couleurs de Yellowstone étaient toutes aussi surréalistes que celles que j’avais vues à la télévision, passant du jaune ocre, au orange brûlé, au marron profond, au vert émeraude, au bleu cobalt, allant jusqu’au blanc pur. Des couleurs littéralement vivantes elles aussi, puisque créées par les thermophiles qui se développent dans la chaleur des eaux thermales. Chaque couleur étant une sorte  différente de thermophiles, ne se développant qu’à une température spécifique.

  Yellowstone, c’est aussi des geysers puissants, tantôt réglés comme des horloges, tantôt imprévisibles. Leurs jets bouillants crachant parfois des milliers de litres d’eau à plus de 60 mètres en l’air, laissant retomber une bruine froide sur nos corps chauffés par les chauds rayons du soleil. Sous une odeur intense de souffre, le spectacle était grandiose, captivant, nous rappelant toute la puissance du magma sous terre. 

  Je rêve déjà de remettre les pieds à Yellowstone, de revoir toutes ces merveilles plus grandes que moi. Je me sens reconnaissante envers cette terre d’exception qui a su réanimer une partie de moi qui vacillait, étouffée par la douleur, la tristesse et la peur. J’ai quitté ce parc la tête et le cœur plus léger, me rappelant que l’émerveillement est impératif à mon bonheur. Merci encore M. Tyssere pour ce reportage sur Yellowstone !

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