Avoir des plaques pour une plaque !

  Après 40 jours à accueillir successivement la filleule adorée et la fille chérie, Serge et moi débutons notre voyage en amoureux. Nous quittons Whitehorse le cœur léger et la tête remplie d’images de ces grands espaces que nous avons découverts au Yukon. Tombstone et Kluane sont sublimes, nous rêvons déjà d’y remettre les pieds un jour. Nous roulons paisiblement sur l’Alaska Highway en direction de Vancouver, sous un ciel encore une fois ensoleillé. Tout va pour le mieux jusqu’à ce que la voiture se comporte étrangement. Le moteur donne des secousses, comme si nous étions tirés vers l’arrière puis relâchés subitement. Quelque chose ne semble pas tourner rond sous le bras de vitesse. On jurait que la transmission nous faisait faux bond, mais avec un Subaru Outback 2016 qui n’a que 30 000 km au compteur c’est quasi impossible. Quasi!

  Un voyant lumineux s’allume sur le tableau de bord. Nous nous rangeons en bordure de la route et nous cherchons dans le manuel du propriétaire de la voiture, question de comprendre de quel mal est accablé notre bolide. L’icône qui s’est allumée peut désigner deux choses : soit notre huile de transmission surchauffe, soit nous avons un problème de transmission plus complexe. Le manuel recommande de laisser le moteur rouler sur place pour dix minutes le temps que la température de l’huile baisse, ce que nous faisons. Puis, nous essayons de faire avancer la voiture de nouveau. Ça y est, notre tableau de bord est comme un sapin de Noël qui clignote, de quoi faire convulser un épileptique ou à tout le moins abîmer sérieusement une rétine fragile! La voiture refuse maintenant de bouger ne serait-ce que d’un millimètre. Bordel!

  Par chance, nous avons un signal cellulaire. Faible signal, mais suffisant pour appeler le service « Subaru Care ». Or, comme nous sommes à plus de 200 km de Whitehorse, la remorqueuse ne sera pas sur place avant au moins 3 heures. C’est long, mais au moins quelqu’un est en route et nous n’avons pas à marcher en bordure d’autoroute alors que le village le plus près est à 30 km. La répartitrice nous informe toutefois que la remorqueuse ne pourra prendre que la voiture et que nous devrons donc laisser notre roulotte là où elle se trouve.

  Dans l’attente, Serge et moi débattons. Option A, nous laissons la roulotte sans surveillance au risque de se la faire voler ou vandaliser. Option B, l’un de nous reste pour la surveiller. Pour ma part, je ne suis pas emballée à l’idée de faire la route seule avec un remorqueur inconnu pendant 3 heures au beau milieu de nulle part et entourée de forêt. Je suis encore moins tentée par la rencontre de qui que ce soit qui voudrait nous voler la roulotte ou la vandaliser, d’autant plus que les panneaux de signalisation en métal dans le coin sont criblés de balles! J’ai beau essayer d’être rationnelle et de choisir l’une des deux options mais, honnêtement, les deux me font peur. Une boule au ventre, je confie mes craintes à Serge. En toute humilité, il m’avoue qu’il est aussi inquiet que moi et qu’il n’est pas plus confortable avec ces deux options. Nous décidons donc d’abandonner la roulotte et de retourner ensemble à Whitehorse. Nous appelons la GRC pour leur dire que nous laisserons notre maison mobile en bordure de route. Croyez-le ou non, ils sont au courant que notre véhicule est en panne! Des policiers sont passés plus tôt et, comme ils n’ont vu personne dans la voiture, ils ont poursuivi leur chemin. Alors si un jour vous êtes recherchés par la police, allez vous cacher dans une roulotte sur l’accotement d’une autoroute au Yukon c’est certain qu’ils ne vous trouveront jamais! Entendez ici mon soupir et voyez mes yeux qui roulent au ciel, car la GRC ne m’a pas impressionnée sur ce coup-là !

  Dans l’attente de la remorqueuse, nous prenons des photos de la roulotte à l’intérieur comme à l’extérieur pour les assurances, au cas où nous aurions une réclamation à faire dans les prochains jours. Pessimistes ou prévoyants, je ne sais trop à ce point-ci. Nous plaçons tout ce que nous pouvons du contenu de la roulotte dans le coffre de la voiture. Moins il en reste ici, le mieux c’est! On prend évidemment soin de récupérer les bouteilles de vin et de champagne rangées sous la banquette. Ce n’est pas parce qu’on est à pieds et sans toit qu’on va boire de la piquette! Je connais mes priorités, Maslow peut aller se rhabiller!

  Quatre heures plus tard, nous attendons toujours. Nous rappelons le « Subaru Care » qui nous assure que quelqu’un est en chemin. Vers une heure du matin, nous les recontactons comme personne ne s’est pointé le bout du nez et que huit heures se sont écoulées. La personne au bout de la ligne nous assure que quelqu’un est en route. Toutefois, personne n’arrive à rejoindre le remorqueur en question. Elle nous demande de continuer d’être patient. Serge fait donc une mise au point avec l’employée en question : « On n’a presque plus d’eau et nous sommes à 30 km du village le plus proche. On est sur un minuscule accotement en gravier à côté d’un fossé, sur une autoroute à deux voies qui rencontrent. Il fait nuit et nos feux d’urgence ne fonctionnent plus comme notre batterie s’est déchargée. Nous sommes brassés par chaque camion qui passe à moins d’un mètre de nous et nous ne pouvons pas sortir dehors parce qu’il y a des grizzlis dans les bois autour. Si l’un de ces camions entre en collision avec nous, nous sommes tout simplement morts! ». Jusque-là, je n’avais totalement pas réalisé l’ampleur de notre pétrin, mais ces dernières paroles m’ont nouée la gorge. Nous avons donc passé la nuit à attendre, collés, en espérant éviter le pire et en appelant aux deux heures pour demander de l’aide. Personne n’est venu.

  Le lendemain matin, alors que nous étions là depuis 17 heures, je suis allée à la voiture pour nous prendre des barres granola question de manger un peu. C’est là qu’un camion de type pick-up avec une plateforme s’est rangé devant nous sur l’accompagnement. Aucun lettrage n’était appliqué sur le véhicule et les trois hommes qui en sont sortis ne portaient ni uniforme, ni chandail de compagnie de remorquage. Cigarette à la bouche, ils se sont avancés vers moi en me demandant si j’avais besoin d’une remorqueuse. Au même moment, un VUS qui venait en sens inverse sur l’autoroute a fait demi-tour rapidement et s’est aussi garé devant nous. Quatre hommes aucunement souriants et une femme me faisaient soudainement face alors que Serge était toujours dans la roulotte. Mais qui est-ce qui pense que c’est une bonne idée de débarquer à cinq, sans se présenter en voulant remorquer notre auto? Oh qu’ils ne m’inspiraient pas confiance! Je me sentais dans « Breaking Bad » avec des criminels qui voulaient réquisitionner notre roulotte pour faire de la drogue de synthèse au fond des bois après s’être débarrassés de nos corps !

  « Serge, il y a beaucoup trop de monde tout d’un coup ! » que je lui crie en reculant vers la roulotte alors qu’un des hommes avance toujours vers moi. « Sors tout de suite stp ! ».

Commentaires

commentaires