Avoir des plaques pour une plaque ! | Deuxième Partie

  Serge sort enfin.  C’est bien, comme ça je ne serai pas la seule à être dépecée!  L’homme au visage dur lui dit – finalement – qu’ils ont reçu un appel pour venir nous chercher. Parano que je suis, je prends – discrètement – une photo de leur camion pendant que Serge leur parle, em prenant soin de cadrer leur plaque d’immatriculation.
  L’homme qui était dans le VUS se présente avec un fort accent slave.  Il se dit le propriétaire de la compagnie de remorquage. Il nous propose de tirer notre roulotte en plus de nous embarquer avec lui. Il nous explique qu’il arrive de Seattle et qu’il s’est arrêté voyant ses hommes au bord de la route. Difficile à croire tout ça, mais après 17 heures à attendre sur l’Alaska Highway, embarquer avec la mafia russe semble, étrangement, une bonne option!

  Nous montons donc à bord de leur véhicule, notre voiture et notre roulotte nous suivant. Après une heure trente de route, je demande au patron s’il est possible de s’arrêter à la prochaine station service pour que je puisse aller aux toilettes, ce qu’il fait sans ronchonner. Alors que les hommes fument leurs cigarettes ensemble un peu plus loin, je demande à la femme du groupe ce qui s’est passé avec la remorqueuse la nuit dernière, question de savoir pourquoi nous avons dû attendre 17 longues heures. Elle me répond que rien ne se passe comme prévu sur la route au nord. Les gars se sont simplement barrés les pieds dans un bar et ils ont dormi avant de venir nous chercher. J’imagine que mon expression faciale en disait long parce qu’elle a ajouté que c’est tout à fait normal ce genre de situation au Yukon, qu’on ne peut rien y changer. J’en conclus que la notion de « service à la clientèle », les slogans « le client d’abord » et « le client est roi » leur sont complètement inconnus, mais que les bars du coin font de bonnes affaires.

  Deux heures plus tard, la remorqueuse dépose notre voiture au concessionnaire Subaru/Kia de Whitehorse et notre roulotte dans le stationnement du Walmart situé de l’autre côté de la rue. Le mécanicien est formel, la transmission de l’auto est fichue. La bonne nouvelle c’est que tout est sur la garantie, la mauvaise c’est qu’il n’a pas cette pièce en stock et qu’il doit la commander de Toronto. Le tout sera livré dans environ une semaine. Sept jours à végéter dans le stationnement du Walmart, sans douche bien entendu comme nous n’avons plus de batterie. Joie!

  Au moment de l’achat, le concessionnaire Subaru nous avait garanti que la voiture n’aurait aucun problème à tirer la roulotte, mais visiblement la tâche a été plus éprouvante que prévu pour la transmission. Nous sommes donc assis dans nos chaises de camping au milieu du stationnement du Walmart à se demander quoi faire, un verre de vin à la main bien sûr. Le concessionnaire semble formel, la voiture peut tirer la roulotte et il nous change même la transmission sans frais, mais les doutes se sont installés; peut-être avons-nous besoin d’un tracteur plus musclé ou d’une roulotte moins lourde? Jusqu’aux petites heures du matin, je fouille sur le web pour voir avec laquelle des deux options nous perdrons le moins d’argent… Comme aucune roulotte de moins de 2 000 lbs se trouve dans les environs, je vous rappelle qu’on se trouve à Whitehorse, et que de faire le voyage en tente ne nous dit pas, se magasiner une nouvelle voiture semble la solution. Par chance, Whitehorse est minuscule, ce qui nous a permis de faire le tour de chacun des concessionnaires à pieds. Rendus là, vaut mieux en rire!

  Finalement, c’est le concessionnaire Subaru/Kia qui nous fait la meilleure offre, soit l’échange de notre Subaru contre un Kia Sorento V6 2017, flambant neuf. Le gérant nous offre même le support pour tirer la roulotte. Génial! Alors qu’on allait sabrer le champagne dans le stationnement du Walmart, il nous informe finalement que le support en stock n’est pas compatible avec le modèle 2017, qu’il devra en faire venir un de Vancouver et que ça prendra quelques jours. Non, mais on ne s’en sort plus là! La madame commence à être moins patiente et surtout inquiète de manquer son vol à Vancouver prévu dans cinq jours pour avoir ses traitements en neurologie à Montréal. Mes craintes étaient fondées, le support n’est pas arrivé à temps pour que nous ayons le temps de rouler jusqu’à Vancouver à la date prévue, j’ai donc dû modifier mon vol pour partir de Whitehorse pour un petit supplément de 500$. Re-joie!

  Qu’à cela ne tienne, nous nous présentons au bureau d’immatriculation du Yukon pour enregistrer notre nouvel achat.

  La commis : « Ah, mais non. Vous n’êtes pas résidents du territoire, je ne peux pas vous émettre une plaque. Il faut retourner au Québec pour en avoir une. Je peux seulement vous donner un permis temporaire de 10 jours. ».

Plaque du Yukon

Vivement l’autonomie et surtout la bureaucratie des provinces! Par chance, je dois rentrer à Montréal de toute façon pour mes traitements. Je pars donc avec les documents du véhicule nécessaires pour obtenir une plaque d’immatriculation au Québec. En fait, je pense partir avec tous les documents…

  Je suis en file au bureau d’immatriculation de la SAAQ près de chez mes parents avec mon beau-père. La dame au comptoir nous appelle. Je lui explique que j’ai dû acheter un véhicule au Yukon et que je souhaite le faire immatriculer. Elle sourcille en me demandant pourquoi avoir acheté un véhicule si loin. Je lui raconte l’histoire en mode accéléré, mais cela ne semble pas susciter de sympathie chez la fonctionnaire. Elle me demande si j’ai en ma possession les documents relatifs à l’achat. Mais bien sûr! Je dépose les feuilles que j’ai entre les mains sur le comptoir et elle les examine.

  Madame bête de la SAAQ: « Vous n’avez pas payer de taxes sur le véhicule? »

  Cliente irritée par son ton que je suis: « Oui, 130$. La taxe du territoire est minime au Yukon. »

  La madame pointilleuse de la SAAQ: « 130$, sur un véhicule d’une valeur de plus de 40 000$? »

  Le beau-père qui sait donner l’heure juste à la madame de la SAAQ : « Ce n’est pas sur la valeur totale du véhicule qu’on est taxé, mais sur le montant restant à payer après l’échange. Vous devriez savoir ça me semble! »

  La madame de la SAAQ piquée dans son orgueil: « Alors il vous faut le formulaire d’exemption de taxes du Ministère du Revenus! »

  Moi qui s’énerve : « Bon, un autre papier! »

  La fonctionnaire austère : « Et, il est où votre contrat de vente? »

  Moi à la veille d’être à bout : « Là! »

  La madame de la SAAQ un petit ton chiant : « Ah, mais non, ça c’est le contrat de financement avec la banque. »

  Moi à bout, c’est fait: « C’est tout ce que j’ai avec moi comme papier. Il doit être au Yukon. Je vais appeler le concessionnaire et il va le faxer ici. Avez-vous un numéro ? »

  La fonctionnaire rigide de la SAAQ: « Impossible! Ça me prend l’original! »

  Moi qui hallucine: « Mais il est au YU-KON! Je ne vais pas reprendre l’avion pour aller le chercher quand même? »

  Fonctionnaire bureaucratique: « Je vais appeler ma supérieure, mais c’est certain que ça prend l’original. Voyons donc tout le monde sait ça! »

  Beau-père pratico-pratique: « Mais vous allez regarder l’original et vous faire une photocopie de toute façon. Qu’est-ce que ça change que ce soit un fax ? »

  Fonctionnaire inflexible: « Je dois m’assurer que ce sont les signatures réelles et je dois certifier avec vu le contrat original. »

  Elle appelle sa supérieure au téléphone:

  « Allo Gaby?… Bla, bla, bla… Que l’original? (sourire narquois) …Merci! »

  Fonctionnaire satisfaite: « Alors faites-vous le livrer par Purolator et revenez me voir quand vous aurez tous vos papiers. Suivant! »

  Devant ce refus catégorique, j’essaie de rejoindre Serge pour qu’il me poste le contrat original resté dans l’auto, mais pas de signal cellulaire. Je m’essaie donc avec le concessionnaire. Il accepte de m’envoyer, par service express, une nouvelle copie du contrat que je signerai sur réception, en plus d’imiter la signature de Serge. Quand on est mal pris avec la rigidité de la SAAQ on fait ce qu’on peut! Entre temps, nous allons chercher le document d’exemption de taxes chez Revenus Québec. Cette fois, la fonctionnaire devant nous est plus emphatique et accepte de recevoir un fax pour nous émettre le fameux document requis. Fiers de notre petite avancée, mon beau-père et moi décidons de nous essayer dans une autre succursale de la SAAQ. Sait-on jamais!

  La fonctionnaire de la SAAQ qui nous accueille est souriante. Je lui raconte notre achat de véhicule au Yukon sur un ton rigolo, elle rit et consulte nos papiers. On semble sur la bonne voie.

  Fonctionnaire sympa de la SAAQ: « Le formulaire d’exemption de taxes, très bien. Vous avez seulement une photocopie de votre contrat de vente ? »

  Moi qui fait les yeux de « chat potté » dans Shrek: « Oui, désolée, il est au Yukon. Je dois reprendre l’avion dans deux jours… »

  Fonctionnaire qui se rappelle qu’elle travaille à la rigide SAAQ : « Je voudrais bien vous l’accorder, mais c’est vraiment écrit dans le système que ça prend l’original du contrat de vente. Je vais juste appeler ma supérieure pour vérifier. »

  Mon beau-père et moi nous regardons. Nous sommes si près du but…

  Fonctionnaire bien drillée: « Allo Gaby! … »

  Zut, c’est la même bonne femme ! Y’a juste cette fichue « Gaby » comme supérieure à la SAAQ?

  Fonctionnaire surprise : « Vous êtes allés dans un autre point de service ce matin et ils vous ont dit que ça prenait l’original? »

  Moi un peu gênée : « Oui, mais on n’avait pas tous ces documents entre les mains à ce moment là…»

  J’aurais tellement chicané un étudiant s’il s’était essayé avec moi alors qu’un autre prof lui avait déjà dit non. Ah, ce que l’on ne ferait pas pour éviter de payer d’autres frais de changement de vol!

  Deux jours à attendre devant la fenêtre chez mes parents. Deux jours à espérer que ce maudit papier arrive à temps. Mais non, le jour de mon départ prévu pour retourner sur la route avec Serge, il n’était toujours pas arrivé. Ce n’est que le lendemain que j’ai finalement vu le camion de Purolator se stationner devant la maison. Le pauvre livreur a dû se dire que j’étais vraiment seule dans la vie ou un peu timbrée. Je suis sortie de la maison en courant, en lui disant à quel point il faisait ma journée! Je pense qu’il n’avait pas tourné le coin de la rue que j’étais déjà en route pour la SAAQ.

  La dame au comptoir m’appelle, je lui explique que j’ai acheté un véhicule au Yukon… Je prends soin de cacher mes mains tachées d’encre sous le comptoir, parce que j’ai vraiment imité la signature de Serge. Ça m’a pris une éternité avant de bien la reproduire par peur qu’elle décide de la comparer avec celle sur son permis de conduire que j’ai en photo dans mon cellulaire. Je vous ai déjà dit que je peux être parano?

  La fonctionnaire rigide du début de la semaine entend le tout et s’approche : « Bon ! Vous avez décidé de faire les choses dans les règles de l’art. C’est bien ça ! »

  Je lui renvoie son éternel petit sourire narquois : « Oh oui, ça m’a seulement coûté 500$ de plus pour retarder mon vol de retour. Mais bon, maintenant vous pouvez voir ma signature originale. J’espère que vous appréciez le moment! »

  Pour une fois, elle s’est fermée le clapet.

  Nous roulons maintenant dans un Sorento de KIA avec une belle plaque du Québec. Vivement le prochain Walmart sur notre chemin qu’on y sabre le champagne pour vrai cette fois!

 

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